Naissance de Safar

De l'idée au projet

Au cours d'un premier voyage en 2005, je découvre le Yémen et notamment la région des hauts plateaux du Nord-Yémen, le territoire des qabilis, hommes de tribus. Surnommée l'Arabie Heureuse, le Yémen est un pays magique et légendaire, dont l'histoire s'inscrit au carrefour de la route des épices et de l'encens, à la rencontre de l'Extrême-Orient et de la Méditerranée.

La grandeur et la majesté des paysages et de l'architecture me surprennent et me fascinent, et la culture yéménite me touche par sa noblesse de cœur et d'esprit, son humour et sa poésie de la vie, son authenticité, sa beauté … mais aussi par son caractère extrême où le sens de l'honneur peut conduire à la mort, un pays où l'amour courtois reste soumis à des règles " chevaleresques " d'un autre temps

Un deuxième voyage me conduit à travers les déserts de sable et de pierres du Sud Yémen, dans le wadi de l'Hadramaout, des paysages magnifiques sur l'ancienne route des épices et de l'encens.

Mais c'est bien dans la région des qabilis, hommes de tribus du Nord-Yémen, que j'ai envie de retourner, et de rencontrer au plus près cette culture, héritière de temps préislamiques et d'un certain royaume de Saba.

Après différents contacts à Sana'a, la capitale, avec le Centre Culturel Français et avec le CEFAS (centre français d'études ethnologiques), je comprends très vite qu'il n'existe pas ou très peu de publications de littérature orale yéménite et qu'il n'existe pas ou très peu d'actions de sauvegarde du patrimoine oral par l'Etat yéménite ; car il s'agit bien ici de sauvegarde de l'oralité, dans un pays qui est en train de passer d'un fonctionnement tribal très ancien à un XXI° siècle fait de paraboles (télévisuelles !) et d'internet.

Je comprends aussi très vite que je dois me débrouiller seule si je veux aller à la rencontre de la parole des qabilis.

 


Je retourne donc au cours de l'été 2006 au Nord-Yémen, sur les hauts plateaux au nord et à l'ouest de Sana'a, accompagnée d'un guide yéménite et d'un interprète yéménite francophone. Après avoir vaguement établi un circuit, nous partons à l'improviste à la rencontre d'habitants des hauts plateaux situés entre 2200 et 3400 mètres d'altitude.

 

Nous passons un mois de vagabondage et de rencontres d'hommes de tribus, dans les souks des villages, au bord d'une terrasse de caféiers ou au pied d'une forteresse, dans un champ de qat, sous un sycomore, ou dans le mafraj d'une maison yéménite. Chaque fois la générosité et la confiance des yéménites me bouleversent. Le cinquième jour, l'interprète yéménite veut abandonner, certains dialectes villageois sont inaccessibles pour lui et la tâche est rude. Je le persuade de rester, le guide yéménite acceptant en cas de besoin de faire une traduction intermédiaire entre les dialectes et l'arabe de Sana'a.

Puis la passion du collectage s'empare de toute l'équipe ...

 

... et au bout d'un mois de périple, nous revenons avec une collecte extraordinaire de contes, récits, anecdotes, devinettes, proverbes représentant 120 heures d'enregistrement audio et 13 heures de vidéo … voyage au cœur de la parole … voyage féerique au pays de la Reine de Saba et au-delà … voyage unique dans ce pays qui reste encore secret et mystérieux, à travers ses contes, ses légendes et son oralité d'aujourd'hui … "

Brigitte Carle